La jeunesse du Paris d'après-guerre désire inventer un nouveau théâtre. Georges VITALY et Jacques MAUCLAIR sont dans le quartier latin où est né le théâtre d'aujourd'hui. Jacques MAUCLAIR évoque la rue Champollion où le théâtre des Noctambules et le théâtre du Quartier Latin ont disparu. André REYBAZ y avait révélé GHELDERODE et Jean VAUTHIER ainsi que la pièce de Boris VIAN "L'Equarissage pour tous". Georges VITALY y avait assuré la mise en scène des "Epiphanies" d'Henri PICHETTE avec Gérard PHILIPE. Dans un café, Eugène IONESCO qui a eu une enfance parisienne parle de ses débuts au théâtre et de ses maîtres. Jacques MAUCLAIR a créé la troisième pièce de IONESCO "Victime du devoir" et Nicolas BATAILLE, la première "La Cantatrice chauve" pièce qui a connu plus de 7000 représentations à La Huchette.Jacques MAUCLAIR qui a monté "Ping pong" parle d'Arthur ADAMOV.
Témoignage de Jean MARTIN sur IONESCO, BECKETT et ADAMOV : ils étaient les auteurs de ce qui a été appelé le "théâtre de l'absurde". Boulevard Raspail, Eleonore HIRT et Jean Marie SERREAU créérent le théâtre Babylone, disparu lui aussi. Témoignage de Roger BLIN sur "En attendant Godot" la pièce que BECKETT lui a confiée et qu'il a montée au Babylone, ne trouvant aucun autre lieu d'accueil. Témoignage de Jean MARTIN sur "Fin de partie" une autre pièce de BECKETT qu'il a fallu aller monter à Londres, malgré l'immense succès de "Godot".IONESCO se souvient de l'accueil de leurs premières pièces à Londres : ils ont influencé de nombreux auteurs anglais comme PINTER et en Angleterre le mouvement de ce théâtre s'est poursuivi.
1909 1994 - Eugène Ionesco
Né à Stalina en novembre 1912 d'un père Roumain et d'une mère Française, Eugène Ionesco vint à Paris avec sa famille et passa son enfance dans la capitale à l'exception d'une année où il fut mis en pension dans un village de la Mayenne.
Ses parents ayant divorcés, il revint à Bucarest où il fit ses études secondaires et supérieures. Tenté par une critique littéraire agressive, il rejoignit les rangs de l'avant-garde roumaine, se maria, et, en 1938, regagna Paris. Il devait alors connaître une existence difficile, adoucie par ses rencontres des milieux <<pataphysiciens>>*.
La pataphysique est une science ou peudo-science qui explore ce qui est au-delà de la métaphysique.
En 1948, il écrit une pièce singulière : "La Cantatrice chauve", qui décide de sa vocation. En dépit des réserves d'une critique décontenancée, Ionesco s'impose peu à peu avec "La Leçon" en 1951, "Jacques ou la soumission" en 1955 et surtout "Les Chaises" en 1952. De 1953 à 1955, il fait jouer "Victimes du devoir" et "Amédée ou Comment s'en débarasser", et à l'occasion d'une polémique, revendique l'autonomie du théâtre de l'insolite face à la dramaturgie conventionnelle et à l'engagement brechtien (L'Impromptu de l'Alma en, 1956).
Si "Tueurs sans gages" en 1957 et "Le Nouveau locataire" en 1957 sont encore des pièces courtes, "Rhinocéros" en 1958 ouvre la voie aux pièces majeures : "Le Roi se meurt" 1962 - "Le Piéton de l'air" en 1963 - "La Soif et la faim", en 1965.
Les dernières pièces de Ionesco - "Macbeth" 1972 - "Ce formidable bordel" 1974 - "L' Homme aux valises" 1976, témoignent de la liberté du dramaturge, nullement bridée dans sa fantaisie créatrice par son entrée à l'Académie Française en 1973.
Il meurt à Paris le 28 mars 1994.
L'homme prisonnier de la condition humaine
Le théâtrre de Ionesco est , à chacune de ses répliques, comique et tragique. Son insolite procède d'une accumulation de paradoxes et de boutades qui, à la manière socratique* nous contraint à une perpétuelle et inhabituelle interrogation sur le sens de la vie.
* Qui est affilié à la pensée, à la philosophie attribuée à Socrate
Ce théâtre fait grimacer notre impuissance devant la mort. La vieillesse dan "Les Chaises", avec ses séquences de radotage, tout comme la déshumanisation de "Rhinocéros", annonçait le naufrage d'une vie. Dans "Le Roi se meurt", une cérémonie conduit le roi Bérenger au trépas.
Ionesco tente de défendre l'homme fut-ce contre lui-même. Dans ces pièces, de graves questions sont abordées : l'individu opprimé par la masse, l'impossibilité d'atteindre l'absolu, l'homme devant la mort. A travers les images oniriques qui hantent son théâtre, Ionesco se montre obsédé par les problèmes du bien et du mal, du péché et de la mort, de l'inaptitude à vivre heureux ici-bas pour l'homme dévoré comme lui, par la <<nostalgie ardente>> et incompréhensible d'un ailleurs qu'il ne saurait définir.
1906 1989 - Samuel Beckett
Né le 13 avril 1906 à Foxroch, près de Dublin, de parents protestants , Beckett devait être attiré par la littérature française contemporaine au point de s'installer en France et de choisir la langue Française pour s'exprimer, après avoir écrit ses premiers ouvrages en Anglais.
Au terme de ses études à Dublin, Beckett, après un premier voyage en France à vingt ans, passe deux ans à Paris comme lecteur à l'Ecole Normal Supérieur. A la suite d'un retour à Dublin et d'un court séjour comme professeur à son collège, il entreprend de 1934 à 1936 ses premières oeuvres romanesques en Anglais <<Murphy>>, puis de 1936 à 1937 parcourt l'Allemagne. Reinstallé à Paris, il vit de leçons et traductions et retrouve James Joyce dont il avait fait la connaissance neuf ans plus tôt. Au cours de la guerre il participe à la résistance et doit se retirer dans le Vaucluse. Ses ouvrages d'après-guerre sont des poésies, des nouvelles et des romans.
Quand il aborde le théâtre en 1948, avec <<En attendant Godo>>, c'est pour inaugurer une nouvelle forme de dramaturgie. Fuyant la société malgrès ses obligations de journaliste et de critique, Beckett continue à écrire régulièrement, en particulier pour le théâtre : <<Fin de partie>> 1957 - <<Acte sans parole>> 1957 - <<La dernière bande>> 1960 - <<Oh les beaux jours>> 1961. Les textes qu'il propose sont de plus en plus courts : sa technique se fait de plus en plus radicale et il utilise toutes les possiblités de l'image, en particulier dans le scénario de <<Film>>, oeuvre limite. Il reçoit le prix Noble de littérature en 1969.
Un monde lunaire
Le monde de Beckett est bien différent de celui de Ionesco, qui met en scène des lieux de la vie ordinaire, salon, bureau, chambre à louer, jardin public. Beckett a réduit le décor de ses pièces à des étendues ou à des locaux indistincts et blafards <<Fin de partie>>, voire à un désert où le personnage central est enlisé jusqu'au tronc <<Oh les beaux jours>>. L'éclairage est angoissant; les personnages, prisonniers de jarres ou de poubelles, offrent un aspect misérable, poussiéreux. Leur visage ahuri et blanchi s'éclaire mal de leur regard vide. L'épure de la condition humaine exige des arbres dépouillés de leurs feuilles, des objets avilis, un jeu de scène mécanisé. Des personnages, on ne connaît guère que le nom monosyllabique. Leur fonction sociale est indistincte comme les motivations de leur action. Le dialogue lui-même est rongé de silences, désorganisé par des réflexions discontinues ou soudain congestionné par la logorrhée de quelque hurluberlu.
Un théâtre discuté et passionnant
Ce théâtre de fin du monde, qui anéantit nos rêves en les objectivant et en les ravivant un instant malgré leur dérision, n'a pas manqué de susciter des commentaires opposés. Le théâtre de Beckett n'est pas seulement une occasion d'interroger la vie mais aussi une provocation à l'interrogation sur sa propre nature et le sens ultime de la parole.
Suzanne Beckett, son épouse, décède le 17 juillet 1989. Beckett, atteint d'emphysème et peut-être de la maladie de Parkinson, part en maison de retraite où il meurt le 22 décembre de la même année. Ils sont tous deux enterrés au cimetière Montparnasse à Paris.
Robert Pinget parle de Samuel Beckett, avec beaucoup de chaleur, de leur amitié. Beckett, très amical, chaleureux, au coeur magnifique et d'une érudition extraordinaire, Robert Pinget a beaucoup admiré sa conscience professionnelle à trouver chaque mot, très exigeant. Beckett avait horreur du mensonge dans la vie et d'un caractère intransigeant, il est mort tout doucement comme ses personnages.
1908 1970 - Arthur Adamov
Né à Kilovodsk, au Caucases le 23 août 1908 de parents propriétaires de puits de pétrole, Artur Adamov passe son enfance et son adolescence en Suisse et en Allemagne dans des conditions précaires. Installé en France, il entre en contact avec le mouvement surréaliste et se tourne à la Libération, vers le théâtre dans l'intention d'exorciser son malaise intérieur. En 1950, il fait jouer <<La grande et la petite manoeuvre>>, bientôt suivie d'une série de courtes pièces : <<L'Invasion>> 1950 - <<La Parodie>> 1952 - <<Le professeur Taranne>>.
En 1955 - 1956, à l'inverse de Ionesco, il se détache des théories d'Artaud pour se faire le porte parole d'un message marxiste. Sensible au succès de Brecht joué par le Berliner Ensemble, il opte pour une dramaturgie de l'engagement. Il fera un théâtre dénonçant le système capitaliste. <<Ping-Pong>> 1955 et surtout <<Paolo Paoli>> en 1957 doivent être considérées comme des pièces charnières. <<Printemps 71>> 1963, préparé par de sérieuses recherches à la B.N., fait revivre la Commune de Paris en rivalisant avec la pièce de Brecht sur le même sujet. <<Off limites>> - <<La Politique des restes>> - <<Monsieur le modéré>> écrits de 1963 à 1969 sont inspirés par l'actualité politique. Malheureusement, Adamov voit son activité entravée par son état de santé. Il ne peut surmonter sa déchéance physique, et meurt, le 15 mars 1970 à Paris dans la souffrance, toujours à la recherche de lui même.
Les premières pièces de théâtre s'interogent, dans leur nudité, sur l'absence de communication entre les êtres. Le professeur Taranne éprouve une grande peine à se faire reconnaître de son entourage et à se justifier d'une accusation d'impudeur qui le met à l'écart de tous. Mais Adamov ne tarde pas à qualifier ces pièces de structure onirique de << no mans's land pseudo-poétique>>. A partir de <<Ping-Pong>>, le contexte social, jusque-là absent, fait son apparition. Avec <<Paolo Paoli>>, c'est un mécanisme économique qui est mis en relief : une histoire de collectionneur de papillons permet d'aborder le problème des profits capitalistes. Cependant la meilleure pièce engagée d'Adamov demeure <<Printemps 71>>. On y voit entrecoupé par le défilé des guignols versaillais, une série de tableaux vivants consacrés à la vie quotidiennes des Communards, à leurs espoirs et à leurs illusions, à leur naïveté et à leur héroïsme.
Pour comprendre Adamov et rétablir l'unité de son inspiration, il faut mesurer l'intensité de son désarroi intérieur, qu'il évoque dans ses ouvrages et confessions <<L'Aveu>>. La liquidation de ses complexes séxuels, ses interrogations métaphysiques, ses luttes politiques se disputent la première place dans son théâtre. Aussi, l'a- t-on décrit entre Artaud et Brecht , donnant, comme malgré lui, un théâtre de la tendresse et de l'authenticité : théâtre d'une grande richesse mais dont la portée à été limitée par les incertitudes de la technique dramaturgique.