1896 1972
Grandeur et détachement, mais aussi exubérance et vitalité sont les pôles d'une oeuvre diverse : celle d'un homme qui voulut vivre en épicurien et qui mourut en stoïcien.
Le collège, la guerre , le sport (1896-1924)
Le jeune collégien de Sainte-Croix de Neuilly qui, en 1912, est renvoyé pour "amitié particulière" avait déjà impressionné ses pairs par sa précocité intellectuelle. A travers la camaraderie masculine, il semblait chercher la réalisation d'un <<ordre>>, manière de chevalerie adolescente dont il voudra retrouver l'atmosphère pendant la Première Guerre, ainsi que les piments de l'action et du risque dont il avait découvert les joies en Espagne, au cours de séances de tauromachie. C'est cette même combinaison de dépassement par l'action et de solidarité qui le mène vers les stades et qui vaudra aux lettres françaises certaines des plus belles pages sur le sujet (Les Olympiques 1924).
Le jeune << maître d'énergie >> a livré une partie de son expérience de jeunesse et de sa fougue dans les romans quelque peu maladroits que sont "La Relève du matin (1920) et "Le Songe" (1922) mais où se découvrent déjà les << deux constantes >> de l'auteur à venir, selon Daniel Rops, et qui sont avec la sensualité, << l'appétit de grandeur >> et << le sentiment tragique de la vie >>. Témoignant d'une plus grande maîtrise, "Les Bestiaires" suivent en 1926.
Autre héritage de cette expérience décisive du collège : le respect que Montherlant, par ailleurs éloigné de la foi, conservera pour la religion, respect fait d'attirance esthétique et d'admiration pour les formes moralement les plus exigeantes du catholicisme : le jansénisme et l'engagement monastique.
Le romancier (1925 -1939)
1925 est une année de crise : le jeune écrivain éprouve le besoin de s'éloigner. Il voyage, cherche la << féerie >> et trouve surtout le vide.Cette crise - << la crise des voyageurs traqués >> -, Montherlant la résoudra par une morale de l' << alternance >>, combinaison de jouissance et de scepticisme, et par le détachement des vanités sociales au service de son oeuvre. Il s'agit, écrit-il dans "Aux Fontaines du désir" (1927) << d'aimer et de vivre toute la diversité du monde et tous ses prétendus contraires >> et d'en irriguer sa << poésie >>. De 1930 à 1932, installé en Afrique du Nord, il rédige "La Rose de Sable" (roman). Mais la France qu'il retrouve à son retour lui apparaît affaiblie ; il publie alors le premier et le plus important de ses ouvrages dits << civiques >> ; "Service inutile" (1935), plaidoyer en faveur d'une morale de la << qualité >>.
Pourquoi cet engagement moral, cet éloge du << bien faire >>, dans la bouche de l'inguérissable sceptique que reste Montherlant ? Parce que, répond-il, citant Calderon* (La Vie est un songe), << le bien-faire ne se perd pas, même en rêve >>.
* http://www.kulturica.com/vie-songe.htm
Mais l'entre deux-guerres, aux yeux du grand public, est avant tout l'époque de ses succès de romancier. Roman << objectif >>, "Les Célibataires" (1934) sont les récits savoureux, et quelque peu pathétiques, de la déchéance de deux vieux garçons, aristocrates frileux ; "Les Jeunes filles" (quatre tomes publiés entre 1936 et 1939) joignent à l'intrigue amoureuse et à la satire sociale une pointe de cynisme, voire de misogynie.
Le dramaturge (1939-1972)
En 1942, avec "La Reine Morte", créée la même année à la Comédie Française, Montherlant aborde un nouveau tournant. Le genre dramatique, apte à rendre les conflits d'âmes où grandeur et médiocrités s'affrontent, vaudra à l'auteur, surtout à partir de 1947 avec "Le Maître de Santiago", un regain de popularité, après la brève éclipse de la Libération (due à son attitude pendant l'Occupation : il avait prôné l' <<acceptation >>, mais non la collaboration). En 1960, Montherlant est élu à l'Académie Française ; pour le public, l'écrivain fait désormais figure de << classique >>, bien que celui-ci considère son succès comme un << malentendu >> et se plaigne d'être incompris. Il renoue avec le roman et publie < Le Chaos et la Nuit >> (1963), histoire d'un vieil anarchiste espagnol qui retourne mourir dans l'Espagne franquiste - suivi en 1971 d' << Un Assassin est mon Maître >>. Ces deux ouvrages, marqués par la proximité de la mort, ont une tonalité plus sombre que ses productions d'avant-guerre. "Les Garçons", en 1969, en vérité l'oeuvre d'une vie, avait été un retour vers l'expérience première du collège.
Le 21 septembre 1972, Montherlant, diminué par plusieurs congestions cérébrales et par la cécité, met fin à ses jours en se tirant une balle de revolver dans la bouche. <<Je deviens aveugle, je me tue >> avait-il écrit laconiquement. Ce stoïcien se montra ainsi fidèle à l'exemple des maîtres antiques dont il n'avait cessé de se réclamer.
Portrait d'Henry de Montherlant - INA