1809 - 1852
Poète et dramaturge de génie, Gogol, ce névropathe mystique, devient, après la mort de Pouchkine, le plus grand écrivain de sa génération.
Malgré la censure du tsar, les écrits de Gogol conservaient une puissance redoutable. Nicolas Ier, qui ne mesura pas au début leur caractère explosif, se rattrapa à la mort de l'écrivain en suspendant la publication de ses oeuvres complètes et en interdisant tout écrit nécrologique. Tourgueniev, fut exilé pour l'avoir encensé.
Les années dffficiles
Nicolas Gogol naît le 20 mars 1809 en Ukraine, dans une famille de petits propriétaires fonciers. Ayant légué sa part d'héritage à sa mère, il va connaître l'indigence. et l'incertitude. Après des études médiocres qui le destinaient au fonctionnariat, il part pour Saint-Pétersbourg. Il essaie de vivre de son art sous le pseudonyme d'Alov et publie un poème sentimental : "Hans Küchelgarten". Meurtri par un échec cuisant, il tente de devenir acteur, mais échoue une nouvelle fois. Il se voit alors contraint d'accepter un poste de fonctionnaire, où il apprend à connaître l' ennui et le caractère aliénant de la routine bureaucratique. C'est grâce à Pouchkine, qui s'enthousiasma pour le jeune auteur après la parution des "Veillées du hameau près de Dikanka", que Gogol pourra mettre un terme à ces années d'échecs. Avec le soutien de Pouchkine, Gogol accède aux milieux littéraires.
Une oeuvre littéraire et sociale
Avec "Les Veillées du hameau", et surtout après la parution des "Nouvelles de Saint-Pétersbourg", Gogol suscite un grand engouement, notamment chez les jeunes lecteurs. On le lit avec passion. Son humour, la force et la simplicité de sa langue et de ses sujets constituent une véritable révolution. Il dépeint, à l'inverse de Pouchkine, le Pétersbourg des petits fonctionnaires et des bas quartiers avec un réalisme qui souligne le grotesque et la banalité de la vie russe, s'attaquant à la corruption et, au-delà, au régime tsariste lui-même. Passionné de théâtre dès son enfance, Gogol, que son visage expressif semblait destiner à la comédie, s'avise, après son échec en tant qu'acteur, d'écrire des pièces lui-même plutôt que de jouer celles des autres. Bien qu'il n'ait achevé que trois comédies, il est considéré comme l'un des plus grands dramaturges russes pour avoir écrit "Le Revizor" chef-d' oeuvre satirique qui échappa en partie à la censure grâce à sa forme vaudevillesque, et qui, tant par la polémique qu'il suscita que par sa portée, fut comparé au "Mariage de Figaro". C'est "Les Âmes mortes", oeuvre capitale, qui marque l'apothéose de son génie. Il y travaille pendant dix-sept ans et détruit malheureusement les deniers chapitres au cours d'une crise de démence. Ce texte féroce,où l'on ne rencontre qu'êtres vils et caricatures vivantes, est une sorte de projection de la vie intérieure de Gogol, tant par le caractère de ses héros que par leur destin. Pouchkine, à qui Gogol lut les premiers chapitres du roman - que l' auteur voulait pourtant de la même veine comique que ses oeuvres antérieures - s'écria : <<Que notre Russie est triste ! >>
Le voyageur hypocondriaque
Le désir d' échapper aux déchirements civiques de son pays le pousse à s'expatrier. Il voyage beaucoup. En Suisse tout d'abord, puis à Paris, ville qui l'exaspère par son engagement politique. Il apprécie cependant le Louvre le Jardin des Plantes, ainsi que les théâtres, qu'il fréquente assidûment. Malgré cela, il ne rêve que de l'Italie et de Rome, dont il loue l' âme religieuse et mystique. Au cours de ses voyages, il apprend la mort de Pouchkine, son maître et grand ami. Il ne s' en remettra pas : <<Tout le charme de ma vie est parti avec lui >>, dira-t-il. A partir de ce moment, il peine à écrire. Hypocondriaque, il ne cesse de se plaindre d'une maladie hémorroïdaire. Arrivé à Vienne, il se remet au travail et compose "Le Manteau". Ce récit poignant d'un petit fonctionnaire qui meurt suite au vol de son manteau sera un succès : <<Nous sommes tous sortis du Manteau de Gogol >>, déclarera Dostoïevski. A trente-deux ans, c'est un vieillard qui voyage de cure thermale en cure thermale pour soigner ses maladies imaginaires : Baden, Marienbad, Francfort, Hambourg, Dresde... Aucune eau ne l' apaise. Il maigrit de jour en jour et ne se sent soulagé que quand il est sur la route. En outre, il commence à être envahi par un mysticisme maladif qui ne le quittera qu'à la mort, qui sabote son génie créatif et le pousse à écrire des ouvrages liturgiques insipides.
Du poète au mystique
Qui lit le Gogol des "Nouvelles de Saint-Pétersbourg" ou des "Nouvelles ukrainiennes" ne peut imaginer le fervent mystique qui se cache derrière ce névropathe génial. Ce Gogol inconnu nous est révélé par sa correspondance, qui comprend quatre volumes publiés sous le titre : "Morceaux choisis d'une correspondance avec des amis". Ces écrits se composent de réflexions sur la Russie, sur la poésie lyrique, mais ils comprennent aussi quelques lettres dans lesquelles l'écrivain s'excuse des scandales qu'il a provoqués, du tort qu'il a causé à ses compatriotes en les caricaturant, les invitant à le suivre sur le chemin du Seigneur. Par moments, son mysticisme est proche de la folie, il se considère comme inspiré directement par Dieu. Au début de l'année 1848, il entreprend le pèlerinage à Jérusalem, dont il rêve depuis longtemps. Parti de Naples, il se rend à Malte, Beyrouth, puis arrive dans la Ville sainte. Subjugué, il y fait ses dévotions et communie sur le tombeau du Sauveur. Certains jours, il jeûne tel un moine ou se prive de sommeil pour plaire à Dieu. En janvier 1852, son état s'aggrave. Le 18 février, souffrant d'une gastro-entérite due aux jeûnes, il reçoit l'extrême-onction. Il meurt le 21 février.
Notes :
" Il n'est pas de Russe dont le coeur ne saigne pas en cet instant. Pour nous, Gogol était plus qu'un écrivain : il nous a révélés à nous-mêmes. Sous bien des rapports, il continuait à nos yeux Pierre le Grand."
Tourgueniev,Discours pour la mort de Gogol.
"Le plus gai des grands classiques russes est un martyr de la foi. A trente trois ans, ayant publié, à très peu de choses près, tout ce qui fonde pour le présent et pour l' avenir sa gloire littéraire, Gogol est le Molière des lettres russes. Cinq ans plus tard, il en devient, dira Tolstoï, le Pascal, mais un Pascal qui n'éveillera d'échos amis qu'après sa mort, et dont la conversion ne lui vaut guère, de son vivant, qu'incompréhension et sarcasmes. D'un bout à l'autre de sa carrière il s' est senti, jusque dans le succès, incompris ou mal compris. Et la route qui l'a mené de l' humour à la méditation religieuse, de la satire à l'apostolat moralisateur, s'achèvera dans une longue crise de doute qui condamne son oeuvre maîtresse au naufrage, et lui-même à une mort poignante où il y a plus qu'un renoncement, un demi-suicide. (...)
Il n'est pas de schéma statique qui explique Gogol. Son esprit a été en constant travail, son âme en perpétuelle marche, et c'est seulement dans son devenir, à la lumière de sa biographie, et en particulier de l' abondante correspondance privée qui nous a été conservée qu'on peut espérer comprendre l'unité et les disparités de son oeuvre. "
-Gustave Aucouturier, préface des oeuvres complètes de Nicolas Gogol, Gallimard, 1985