Pendant la guerre, engagé dans la Résistance, ÊLUARD participe au grand mouvement qui entraîne alors la poésie française. Le recueil "Poésie et Vérité" (1942) s'ouvre sur un Hymne à la Liberté qui reste l'un des chefs-d'oeuvre de la poésie de la Résistance. On y voit réapparaitre les formes traditionnelles de la litanie et du refrain : ELUARD redécouvre les lois de la poésie orale qui le conduisent à une sorte d' éloquence concise fort originale ; la musique mélodique des mots et de leurs rythmes reprend aussi tous ses droits.
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Liberté
(extrait)
Poésie et Vérité 1942
Les textes qui forment ce recueil (Poésie et Vérité) sont tous des poèmes de lutte. Ils doivent entrer dans la mémoire des combattants et soutenir l'espérance de la victoire : comme on le faisait pour les armes et les munitions, le poème Liberté à été, à l'époque, parachuté dans les maquis.
Sur mes cahiers d'écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J' écris ton nom
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J' écris ton nom
Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J' écris ton nom
Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l'écho de mon enfance
J' écris ton nom
Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J' écris ton nom
Sur tous mes chiffons d'azur
Sur l'étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J' écris ton nom
Sur les champs sur l'horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J' écris ton nom
Sur chaque bouffée d'aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J' écris ton nom
LA COURBE DE TES YEUX
(avant dernier des nouveaux poèmes
de Capital de la douleur 1926)
Pour Gala...
La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur,
Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécu
C'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu.
Feuilles de jour et mousse de rosée,
Roseaux du vent, sourires parfumés,
Ailes couvrant le monde de lumière,
Bateaux chargés du ciel et de la mer,
Chasseurs des bruits et sources des couleurs,
Parfums éclos d'une couvée d'aurores
Qui gît toujours sur la paille des astres,
Comme le jour dépend de l'innocence
Le monde entier dépend de tes yeux purs
Et tout mon sang coule dans leurs regards.
JE T'AIME
(tiré du recueil Phénix 1951)
Inspiré de l'amour pour Dominique
Je t'aime pour toutes les femmes que je n'ai pas connues
Je t'aime pour tous les temps où je n'ai pas vécu
Pour l'odeur du grand large et l'odeur du pain chaud
Pour la neige qui fond pour les premières fleurs
Pour les animaux purs que l'homme n'effraie pas
Je t'aime pour aimer
Je t'aime pour toutes les femmes que je n'aime pas
Qui me reflète sinon toi-même je me vois si peu
Sans toi je ne vois rien qu'une étendue déserte
Entre autrefois et aujourd'hui
Il y a eu toutes ces morts que j'ai franchies sur de la paille
Je n'ai pas pu percer le mur de mon miroir
Il m'a fallu apprendre mot par mot la vie
Comme on oublie
Je t'aime pour ta sagesse qui n'est pas la mienne
Pour la santé
Je t'aime contre tout ce qui n'est qu'illusion
Pour ce coeur immortel que je ne détiens pas
Tu crois être le doute et tu n'es que raison
Tu es le grand soleil qui me monte à la tête
Quand je suis sûr de moi.